Contre le Covid long, la thérapie exorbitante et expérimentale du « lavage de sang »
Dans l’espoir de soigner les symptômes du Covid long particulièrement sévère qui la fait souffrir depuis mars 2020, Lilas a décidé de procéder à une série de « lavages de sang », donnés dans une clinique privée en Allemagne. En quête de soulagement, des milliers de personnes à travers le monde ont, comme elle, essayé cette technique invasive, normalement réservée aux patients souffrant d’un excès de cholestérol. Vendus plusieurs dizaines de milliers d’euros, ces remèdes expérimentaux n’ont pas encore prouvé leur efficacité contre le Sars-CoV-2.
Pour ses quinze lavages de sang effectués depuis septembre 2021, Lilas a déboursé plus de 20 000 euros. Le prix pour elle « sauver sa vie ». « J’étais dans un état de souffrance intolérable mais je restais sceptique face à ce traitement. Pourtant, dès la première séance, j’ai été frappée de soulagement », se réjouit-elle. Au cours de ces séances, ses globules rouges et son plasma ont été séparés et filtrés, avant de lui être restitués. Depuis, ses difficultés respiratoires, ses pertes de mémoire et son anxiété généralisée ont diminué. La jeune femme envisage désormais de reprendre les cours de sociologie qu’elle enseignait dans une grande école parisienne.
Lilas a bénéficié d’un protocole développé par Beate R. Jaeger, chercheuse reconnue, basée à Mülheim en Allemagne. Parmi les premières personnes convaincues du potentiel de « l’aphérèse thérapeutique » – nom médical du lavage du sang -, ce scientifique la propose à tour de bras depuis février 2021. Combiné à de fortes doses d’anticoagulants, l’acte aurait « de bons résultats thérapeutiques ». », qui « fera bientôt l’objet d’une étude », promet la thérapeute spécialisée en hémodialyse sur son site internet. Cependant, il n’est pas précisé que, dans de rares cas, l’aphérèse peut provoquer une ischémie, un infarctus du myocarde voire un arrêt respiratoire.
Filtrer le sang des malades dans l’espoir de guérir le long Covid n’a, en théorie, rien de farfelu. Si les causes de cette forme tenace et parfois très invalidante de la maladie restent incertaines, plusieurs études scientifiques tendent à montrer que la présence de micro-caillots sanguins pourrait être à l’origine de certains symptômes neurologiques, comme le brouillard cérébral. Selon certains scientifiques, l’aphérèse pourrait alors aider à s’en débarrasser, en les libérant et en les piégeant. Plusieurs protocoles expérimentaux basés sur ce traitement sont en cours d’analyse sur de petits échantillons de volontaires. Trop malade, Lilas n’a pas attendu les résultats.
Ces pistes restent néanmoins des hypothèses partielles, qui demandent à être complétées et démontrées. « Les cliniques qui proposent l’aphérèse à tout prix expérimentent sans cadre. Et certains profitent du désespoir des gens », regrette Olivier Robineau, coordinateur du groupe de recherche autour du Covid long de l’ANRS, l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales. « J’ai des patients qui ont dépensé plus de 8 000 euros, sans aucun résultat. D’autres ont bénéficié d’aphérèses avant même d’avoir terminé la prise en charge multidisciplinaire recommandée », poursuit-il.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs dizaines de patients francophones affirment suivre ou envisager ce traitement. Le bouche à oreille fait son travail, en dehors de tout circuit académique. « Quelqu’un a expliqué que l’aphérèse avait été miraculeuse pour lui, alors j’ai tout essayé pour tout », témoigne Wilfrid, 34 ans, leader d’un des nombreux groupes d’entraide autour du long Covid créé sur Facebook. . « J’ai pris toutes mes économies et je suis allé à Mülheim ». Après une quinzaine d’aphérèses du Dr Jaeger, lui aussi aspire à reprendre son travail. Ce fonctionnaire de la répression des fraudes a repris une vingtaine de kilos et vante à son tour les mérites de cette cure, qui lui a coûté plus de 30 000 euros et une dette à la banque.
Malgré ces prix exorbitants et l’absence de recommandations favorables des autorités allemandes, en novembre 2021, plus de 7 000 personnes étaient déjà inscrites pour recevoir les soins du Dr Jaeger, selon la presse locale. En parallèle, des cures similaires ont vu le jour. En Suisse, « quelques cliniques privées proposent cette thérapie », même si les preuves de son « efficacité manquent », reconnaît Simon Ming, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique. A Chypre, un centre entièrement dédié à cette thérapie a même récemment éclos, en grande pompe.
Baptisée « Long Covid Center », cette clinique construite à Larnaca, ville portuaire du sud de Chypre, témoigne des dérives potentielles de ces traitements expérimentaux. L’establishment est au cœur d’un maelström politico-judiciaire depuis la publication d’une enquête de la Revue médicale britannique, le 12 juillet dernier. Selon les témoignages parus dans cette importante revue scientifique, le centre aurait tenté de profiter de la crédulité de certains patients en proposant des cocktails de vitamines et d’hydroxychloroquine, en plus de lavages sanguins parfois présentés comme des solutions éprouvées.
Mieux encore : le ministère chypriote de la Santé soupçonne désormais le « Long Covid Center » d’utiliser des cellules embryonnaires humaines importées d’Ukraine comme remède miracle au long Covid.
Utilisation illégale en Europe. Selon BMJ, le fondateur de l’établissement, Markus Klotz, un homme d’affaires autrichien, aurait également donné naissance à l’une des plus grandes communautés promouvant les lavages de sang contre le Covid-19, l’Apheresis Association. Sur le groupe Facebook soutenu par cette initiative – 5.000 membres au compteur – les administrateurs répètent que cette mauvaise presse n’est qu’un recueil de « fausses informations ».
Un tel comportement prédateur a provoqué l’indignation d’une partie de la communauté scientifique, à l’instar du rédacteur en chef de la Revue médicale britannique. « Il n’y a aucune preuve scientifique des bienfaits de ces produits, seulement des rapports anecdotiques et la foi aveugle de personnes vulnérables, à la recherche d’un remède miracle. Nous avons tous besoin d’espoir, mais l’espoir peut être dangereux », a-t-il prévenu dans un éditorial publié le 14 juillet. Depuis, le sujet alimente la polémique scientifique outre-Manche.
Rien qu’en France, plus de 2 millions de personnes pourraient souffrir d’un Covid long, selon une étude de Santé publique France publiée le 22 juillet 2022. « Cette question nous ramène à ce qui s’est passé au début de la crise sanitaire et à la polémique autour de l’hydroxychloroquine. Mais l’aphérèse a moins d’arguments en sa faveur que n’avait cette molécule à l’époque », assure Olivier Robineau.
Le spécialiste insiste : « le protocole en vigueur en France, consistant en un suivi médical important, mais aussi en kinésithérapie, ergothérapie, orthophonie, neuropsychologie, n’est ni médicamenteux ni simple, mais cela ne veut pas dire qu’il n’a pas d’effet sur les symptômes des malades. Et rien ne dit qu’une seule méthode ou une seule molécule pourrait être la solution à l’avenir, au vu de la complexité de cette maladie qui peut avoir de multiples causes et différer les unes des autres. « d’un malade à l’autre », prévient le maître de conférences en infectiologie à Tourcoing.
Il conclut : « La légende dit que les Rolling Stones se sont fait changer le sang en Suisse pour rester jeunes. Mais ce n’est qu’une légende. »